9 avril 2025
Ilan Rakotondrainy : « Le Grand Entretien 3.0 : plongée au coeur du quotidien des étudiants en pharmacie »
Ilan Rakotondrainy : « Le Grand Entretien 3.0 : plongée au coeur du quotidien des étudiants en pharmacie »
L’ANEPF (Association Nationale des Étudiants en Pharmacie de France) vient de dévoiler les résultats du Grand Entretien 3.0, une enquête menée en 2024 ayant recueilli 3 786 réponses d’étudiants en pharmacie. Ce rapport dresse un état des lieux des conditions de vie et d’études des étudiants, tout en proposant une rétrospective comparée aux deux précédentes éditions du Grand Entretien, réalisées en 2014 et 2018. Rencontre avec Ilan Rakotondrainy, Président de l’ANEPF.
Ilan, vous êtes Président de l’ANEPF. Pouvez-vous nous dire quelques mots de cette association ?
L'ANEPF (Association Nationale des Étudiants en Pharmacie de France) est l'association représentative des 30 000 étudiants en pharmacie de France. Elle est administrée par des représentants étudiants élus au sein des 24 villes disposant d'un UFR de pharmacie.
Toutes les décisions de notre structure sont prises par le Conseil d'Administration, après consultation des étudiants de chaque faculté par leurs administrateurs. Ainsi, la voix que nous portons est réellement celle des étudiants en pharmacie. L’Assemblée générale de l’ANEPF, qui se réunit cinq fois par an, constitue le coeur de notre modèle démocratique. Ces temps d’échange nous permettent de débattre et de construire collectivement nos positions sur des sujets essentiels, tels que les conditions de vie et d’études en pharmacie, mais aussi l’évolution de la profession.
Vous venez de dévoiler une enquête nationale « Grand Entretien 3.0 » auprès des étudiants en pharmacie. Quels sont les objectifs de cette enquête ?
Le Grand Entretien 3.0 est une enquête menée auprès de l'ensemble des étudiants en pharmacie de France. Publiée du 22 janvier au 22 mars 2024 , elle a recueilli 3 786 réponses provenant des 24 UFR de pharmacie.
Les résultats obtenus ont permis d'élaborer le Rapport du Grand Entretien 3.0 , qui dresse un état des lieux des conditions de vie et d'études des étudiants en pharmacie et en analyse l'évolution sur les dix dernières années. Il s'inscrit dans la continuité des deux rapports précédents : le Rapport du Grand Entretien 2.0 (2018) et le Rapport du Grand Entretien 1.0 (2014).
Ce rapport est structuré en deux grandes parties :
Une première partie consacrée à l'enseignement supérieur ,
Une seconde portant sur les affaires sociales .
Les constats issus de cette enquête ont permis de définir des positions concrètes pour améliorer les conditions de vie et d’études des étudiants en pharmacie. Ils constituent une base de travail essentielle pour l’ANEPF et les étudiants des différentes UFR, leur permettant d’être force de proposition, tant au niveau national que local. Ce rapport permet également à l’ensemble de l’écosystème pharmaceutique d’adapter ses actions et ses priorités en prenant pleinement en compte la réalité vécue par les étudiants. Grâce à ce travail, l’ANEPF s’est fixé une feuille de route claire pour les quatre années à venir, afin de mieux représenter et défendre les étudiants en pharmacie.
Quelles évolutions majeures ont été observées par rapport aux éditions précédentes de 2014 et 2018 ?
L’enquête met en évidence des évolutions assez mitigées entre les éditions de 2014, 2018 et de 2024 :
La diversité des métiers de la pharmacie rend le choix d’une filière souvent difficile entre l’officine, l’industrie, la recherche ou l’internat. Alors que la répartition était jusqu’ici relativement équilibrée, le Grand Entretien 3.0 révèle une nette augmentation de l’attractivité de la filière officine : 40 % des étudiants souhaitent s’y engager ou y sont déjà filiarisés.
Cette évolution peut s’expliquer notamment par la crise du Covid-19 et l’élargissement des compétences du pharmacien d’officine, qui ont renforcé, auprès du grand public, l’image d’un professionnel de santé polyvalent et de premier recours.
Enfin, le Grand Entretien 3.0 met en lumière l’augmentation du coût de la vie, sans réelle compensation pour les étudiants. La précarité étudiante touche désormais une large part d’entre eux : ils étaient 33,93 % à travailler pour financer leurs études en 2018, ils sont 42,53 % aujourd’hui. Une réforme des bourses s’impose, afin que les étudiants n’aient plus à compromettre leur réussite académique ni leur qualité de vie pour subvenir à leurs besoins.
Ces évolutions montrent une nécessité de repenser l’accompagnement des étudiants, tant sur le plan pédagogique que sur celui des conditions de vie et de l’insertion professionnelle.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les étudiants en pharmacie en matière de conditions de vie et d'études ?
L’orientation dans les études de pharmacie reste problématique. La filière est encore méconnue : seulement 60,98 % des étudiants en pharmacie issus de PASS/LAS ont choisi cette filière en premier vœu. En cause, un manque de visibilité au lycée : 94,8 % des étudiants estiment que l’information reçue sur les études de pharmacie et leurs débouchés était insuffisante.
Pourtant, la pharmacie offre une grande diversité de débouchés, ce qui constitue une véritable richesse. Cette diversités n’est pas connue du grand public, mais également des premières années. Certaines filières, comme l’industrie ou l’internat, restent difficilement visibles, par manque d’information ou de stages dans ces établissements. Ainsi, 63,07 % des étudiants se disent mal informés sur les opportunités en industrie.
Une autre problématique mise en évidence par l’enquête concerne le ressenti d’un manque de préparation à l’exercice professionnel. Ainsi, 53,3 % des étudiants estiment que leur formation ne les prépare pas suffisamment à leur futur métier. Ils expriment le besoin d’une plus grande place accordée à la pratique (48,10 %), à des formats pédagogiques plus interactifs et innovants, ainsi qu’à une plus grande diversité de stages (50,48 %), afin de mieux appréhender les différentes réalités du métier.
Par ailleurs, si le cours magistral reste une modalité importante de transmission des connaissances, 69,07 % des étudiants souhaiteraient en réduire le volume au profit de formats plus participatifs, mieux adaptés à l’évolution des attentes pédagogiques et à l’acquisition de compétences professionnelles.
Enfin, en cette année consacrée à la grande cause nationale de la santé mentale, un focus particulier doit être porté sur la situation psychologique des étudiants en pharmacie. 38,01 % d’entre eux déclarent avoir déjà souffert de stress intense, un chiffre en hausse par rapport à 2018 (34,03 %). Par ailleurs, 14,32 % des étudiants se considèrent en dépression.
Quels axes d'amélioration ont été proposés pour répondre à ces problématiques ?
Renforcer l’information et l’orientation : Impliquer davantage les rectorats afin de faciliter la mise en relation entre les lycées et les tutorats, dans le but de mieux faire connaître les études de pharmacie et leurs débouchés.
Faciliter la découverte des différents secteurs d’exercice : Encourager l’intervention de professionnels dans l’ensemble des secteurs qu’offrent la pharmacie, et pas seulement l’officine, permettant ainsi aux étudiants de faire un choix plus éclairé quant à leur futur domaine d’exercice.
Améliorer le système de bourses :
À long terme, instaurer un accès universel aux bourses basé sur les besoins sociaux réels de chaque étudiant, indépendamment de la situation familiale, en prenant en compte le contexte économique et géographique.
À court terme, revenir à un calcul des bourses sur les revenus parentaux de l’année N-1 afin d’assurer un soutien fi nancier plus adapté aux réalités des étudiants.
Ces propositions visent à garantir une meilleure orientation, un accès équitable aux opportunités professionnelles et un cadre de vie plus adapté aux exigences des études en pharmacie.
Quels enseignements l'enquête a-t-elle révélés sur la santé mentale et le bien-être des étudiants en pharmacie ?
L'enquête révèle une situation préoccupante concernant la santé mentale et le bien-être des étudiants en pharmacie. Un nombre significatif d’entre eux fait face à un stress intense lié à la charge de travail, au manque de temps pour eux-mêmes et à l’incertitude quant à leur avenir professionnel.
Un mal-être généralisé : De nombreux étudiants déclarent souffrir de stress, d’anxiété et de fatigue, impactant leur qualité de vie et leur réussite académique. Un manque de soutien : L’accès aux dispositifs d’accompagnement psychologique est jugé insuffisant, et les étudiants se sentent souvent livrés à eux-mêmes face aux difficultés rencontrées. Une pression fi nancière pesante : Le besoin de travailler en parallèle des études aggrave la charge mentale, empêchant certains de se consacrer pleinement à leur formation.
Ces constats mettent en évidence l’urgence de renforcer l’accompagnement des étudiants, en facilitant l’accès à des dispositifs de soutien psychologique et en améliorant leurs conditions de vie afin de prévenir les situations de détresse.
Comment l'ANEPF envisage-t-elle d'utiliser les résultats de cette enquête pour orienter ses actions futures ?
L’ANEPF considère le Grand Entretien comme un véritable témoignage des étudiants en pharmacie, mettant en lumière leurs préoccupations, leurs attentes et leurs propositions pour l’avenir de leur formation et l’amélioration de leurs conditions de vie. Conçu avec objectivité, ce document vise à devenir un outil de référence, aussi bien pour les futurs bureaux de l’ANEPF que pour l’ensemble des acteurs du secteur : la Conférence des Doyens, le CPCMS, l’Ordre des pharmaciens, les représentants professionnels et les ministères.
Dans une démarche de transparence et d’action locale, les données détaillées par ville ont été transmises aux représentants étudiants, aux doyens et aux enseignants. Cette approche territorialisée permet d’identifier les priorités spécifiques à chaque faculté et d’adapter les réponses aux réalités locales.
L’ANEPF souhaite au travers de ce rapport engager des discussions avec les différents acteurs du monde de la pharmacie et vise à renforcer la collaboration avec l’ensemble des parties prenantes afin d’apporter des solutions concrètes aux défi s rencontrés par les étudiants en pharmacie.
