3 février 2025

Angèle Malâtre-Lansac : « La santé mentale, un défi national »

Angèle Malâtre-Lansac : « La santé mentale, un défi national »

Lors de la soirée de lancement de L’Amphi, le 9 décembre dernier, nous avons eu le plaisir d’accueillir Angèle Malâtre-Lansac, Déléguée générale de l’Alliance pour la Santé mentale.

Angèle, vous êtes Déléguée générale de l’Alliance pour la Santé mentale. Pouvez-vous nous dire quelques mots de cette association ?

L’Alliance pour la Santé Mentale agit pour favoriser une meilleure information sur la santé mentale, lutter contre la stigmatisation des troubles psychiques et porter une vision de transformation de la prise en charge des personnes concernées. Elle s’est notamment mobilisée aux côtés d’un large collectif d’acteurs de la santé mentale pour faire de ce sujet la Grande cause nationale en 2025.

Concrètement, l’Alliance s’engage au quotidien pour porter des actions de plaidoyer, organiser des évènements, publier des études et fédérer de nombreux acteurs afin de faire de la santé mentale un sujet de débat public et une priorité politique et citoyenne.

 Quand on parle de santé mentale, on emploie de plus en plus le terme de crise silencieuse qui touche de nombreux Français. Où en est-on aujourd’hui de la santé mentale en France ?

Chaque année, 20% de la population souffre d’un trouble psychique, soit 13 millions de Français. Les troubles psychiques représentent la première cause d’arrêts maladie de longue durée et le premier poste de dépense de l’Assurance maladie, loin devant les cancers ou les maladies cardio-vasculaires (25 milliards d’euros par an).

Et pourtant, 50% des Français en souffrance psychique le cachent ou ne savent pas à qui en parler. Pour 69% des aidants, les médias évoquent la maladie de façon stigmatisante et anxiogène. La santé mentale demeure un sujet tabou, stigmatisant, sur lequel la population est peu informée.

Toutefois, depuis le confinement, une prise de conscience s’amorce, en France comme à l’étranger. Des personnalités osent désormais prendre publiquement la parole pour s’exprimer sur leur santé mentale ; des innovations émergent, améliorant la prise en charge et la qualité de vie des patients et de leurs proches ; enfin, la déconstruction des préjugés liés à ces troubles contribue à briser le silence qui pèse sur le sujet.

Plusieurs études récentes, comme Mentalo, ont alerté sur la dégradation de la santé mentale des jeunes générations en France. Faites-vous le même constat ?

Absolument. Les gestes suicidaires ont été multipliés par deux chez les 18-24 ans depuis la crise sanitaire, les jeunes filles étant particulièrement exposées et 40% des étudiants présentent des symptômes dépressifs (26 % avant la crise sanitaire).

Chez les enfants, la dégradation de la santé mentale est également très préoccupante. 13 % des écoliers de 6 à 11 ans présentent un trouble mental. Les jeunes les plus vulnérables sont particulièrement concernés : la moitié des enfants et adolescents pris en charge au titre de la protection de l’enfance (ASE) souffre de troubles psychiques majeurs, soit 5 fois plus qu’en population générale.

Nous savons que la période qui va de l’adolescence à l’âge du jeune adulte est une période charnière : non seulement 75% des troubles psychiques apparaissent avant l’âge de 24 ans, mais elle est aussi caractérisée par un certain nombre d’enjeux et de bouleversements personnels ainsi que de situations sociales qui peuvent être difficiles. Face à cette situation, l’accès aux soins est souvent très difficile et les familles démunies.

Vous faites partie des contributeurs du Collectif Grande Cause Santé Mentale 2025. Pouvez-vous nous dire comment est née cette initiative ?

L’initiative est née il y a plus d’un an et demi à l’initiative d’acteurs majeurs du champ de la santé mentale (prévention, soin, recherche, action sociale, personnes concernées et proches…). Ces acteurs se sont réunis au sein d’un collectif représentant plus de 3400 organisations partout sur le territoire, co-animé par l’Alliance pour la Santé mentale et Santé mentale France.

Nous avons publié des tribunes ainsi qu’une pétition qui a recueilli plus de 45 000 signatures pour demander que la santé mentale devienne la Grande cause nationale, nous nous réunissons très régulièrement et organisons des évènements et des actions communes.

Notre voix a été entendue avec l’annonce du Premier ministre Michel Barnier le 10 octobre 2024 qui a décidé de faire de la santé mentale la Grande cause nationale.

Avez-vous rencontré des difficultés à rassembler des acteurs venant de divers horizons ?

Ces 23 acteurs viennent d’horizons divers et s’adressent à des publics différents, et cette diversité fait la force du collectif : ensemble on va plus loin ! Nous nous rejoignons sur un même constat : il y a urgence à agir pour la santé mentale en France aujourd’hui. Nous sommes convaincus que la santé mentale est un sujet de société qui nous concerne tous, nous constatons l'urgence de mettre la santé mentale au cœur des politiques publiques, en parallèle d'une nécessaire prise de conscience citoyenne.

Nous partageons aussi trois priorités : informer la population française sur les troubles psychiques, prévenir et favoriser le repérage précoce, et déstigmatiser pour transformer les représentations des troubles psychiques. Informer, prévenir, déstigmatiser : ces trois objectifs nous permettent, au-delà de nos actions respectives, de construire un agenda commun pour 2025.

Une initiative qui a porté ses fruits puisque la Santé mentale est devenue Grande cause nationale 2025. Qu’est-ce que cela change concrètement pour vos actions ?

La Grande cause nationale est une occasion unique de porter des messages de sensibilisation, d’information et de prévention auprès du grand public.

Nous allons déployer tout au long de l’année 2025 un calendrier d’actions pour mobiliser le plus grand nombre et agir pour destigmatiser le sujet. Pour cela, des thématiques seront plus spécifiquement mises en avant au travers d’événements dédiés : santé mentale au travail, culture, innovation et recherche, jeunesse, collectivités locales, personnes concernées…

L’objectif est de mobiliser et d’engager le plus grand nombre pour que cette grande cause soit le début d’un mouvement de transformation large.

Lors de notre soirée de lancement de l’Amphi vous avez insisté sur le fait que faire de la santé mentale une Grande cause nationale doit devenir un catalyseur de changements structurels. Pouvez-vous nous donner des précisions ?

La Grande cause nationale est un amplificateur. Elle doit aussi marquer un tournant décisif dans la perception et la prise en charge de la santé mentale en France. Faire de la santé mentale la Grande cause nationale devrait permettre de diffuser largement des campagnes d’information et de sensibilisation auprès du grand public, de faire parler du sujet dans toutes les sphères de la société et de fédérer de nombreux acteurs pour une meilleure prise en compte du sujet dans toutes ces dimensions à travers un calendrier d’actions ambitieux.

L’objectif est de porter un regard d’espoir sur le sujet de la santé mentale, résolument tourné vers la prévention et la déstigmatisation. Cette année de Grande cause nationale doit initier un changement aux effets de long terme : garantir l’information de tous, faire baisser la stigmatisation et changer les regards, améliorer la prévention, et faire de la santé mentale une priorité car elle est l’affaire de tous. Ce que la France a su faire hier sur le cancer, le sida ou encore l’autisme, avec des impacts structurants, elle peut et doit le faire demain sur la santé mentale.